Vladimir Pozner à propos de la campagne anti-russe aux États-Unis

« Comme chacun le sait, à l’époque du maccarthysme, ça ne rigolait pas. Dans cette atmosphère, personne ne s’est particulièrement prononcé contre les listes « noires », contre l’emprisonnement de ceux qui ne voulaient pas « coopérer ». Certes, personne n’a été tué, bien qu’il y ait eu de nombreux suicides. La plupart des gens ont été écrasés moralement et économiquement. Néanmoins, cela ne ressemblait pas du tout aux répressions de Staline — ni sur le fond ni sur la forme. En même temps, il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas de l’Union soviétique de 1937, mais d’un pays qui a deux siècles d’expérience de la démocratie, un pays dont la sécurité n’a été menacée par personne. »

Extrait du livre « Adieu aux illusions » de Vladimir Pozner

A la veille de l’élection présidentielle américaine, qui se tiendra le 3 novembre, un panneau publicitaire est apparu sur l’un des immeubles du centre-ville de Manhattan, exhortant à ne pas ignorer l’élection et aller voter. « Voter ! Parce que les cours de russe sont chers », lit-on sur l’affiche.

« Il s’agit d’une discrimination ethnique qui affecte les résidents russophones des États-Unis », a déclaré Natalya Sabelnik, chef du Congrès des Russes d’Amérique (CRA), dans un entretien avec l’agence de presse RIA Novosti.

Cette campagne a été soutenue sur les réseaux sociaux par les partisans de Joe Biden. Les journalistes et les experts sont convaincus que la bataille pour la présidence sera féroce et qu’une mise en scène d’une « affaire russe » sera certainement orchestrée quel que soit le résultat de l’élection, car la poussée anti-russe n’est pas un phénomène saisonnier aux États-Unis à la veille du scrutin, mais une tendance politique de longue date.

« C’est une histoire dangereuse dans le sens où ça chauffe l’ambiance anti-russe instaurée depuis un certain temps. Pour être précis, depuis 2016, quand le Parti démocrate et les médias qui le soutiennent ont commencé à accuser la Russie d’avoir interféré dans le processus électoral américain. Et quand, en fait, le Parti démocrate a expliqué sa défaite absolue par cette « ingérence », et la victoire de Trump par l’intervention et l’aide de la part de la Russie. Et ensuite, il y a eu toutes sortes d’accusations contre Trump selon lesquelles il avait une collusion avec la Russie. Bien qu’aucune preuve n’ait été présentée, une impression perturbante que la Russie avait osé s’immiscer dans le processus électoral est bien sûr restée », a déclaré le journaliste et présentateur de télévision Vladimir Pozner dans une interview à Rossotroudnitchestvo.

« À l’époque, les démocrates étaient sûrs de leur victoire, et la défaite d’Hillary Clinton était complètement inattendue pour eux. Aujourd’hui, ils ne sont absolument pas sûrs de pouvoir gagner. Autrement dit, personne ne sait qui remportera la victoire le 3 novembre. Au cas où, rappeler à nouveau la soi-disant « ingérence russe » dans le processus électoral est une très bonne tactique pour le Parti démocrate. Parce que s’ils perdent, ce qui peut arriver, ils expliqueront à nouveau leur défaite par les actions de la Russie et réclameront vengeance. Autrement dit, de nouvelles sanctions. S’ils gagnent, ils diront : eh bien, malgré l’intervention russe, nous avons gagné, mais nous ne leur pardonnerons pas, et il faudra les punir afin qu’ils comprennent que nous ne permettrons à personne de s’immiscer dans les affaires des États-Unis. Et dans ce cas, c’est une décision plutôt dangereuse.

De son côté, le professeur de science politique à l’université du Tennessee, Andreï Korobkov, note que ces dernières années, le FBI (le Bureau Fédéral d’Enquêtes) a ciblé non seulement les soi-disant « hackers russes », mais aussi les scientifiques et ingénieurs russes qui travaillent aux États-Unis.

« Malheureusement, cette tendance provoque une nouvelle détérioration des relations russo-américaines et met en péril un nombre important de scientifiques et de spécialistes qualifiés travaillant aux États-Unis, ce qui crée une atmosphère de suspicion et d’intolérance, principalement dans les sciences naturelles et techniques », a déclaré Andreï Korobkov.

« Les candidats à la présidence des États-Unis ont des points de vue très différents sur cette question : Monsieur Biden, un produit de la guerre froide, promeut de toutes les manières possibles des versions de la menace russe et l’aide des services de renseignement russes à la campagne électorale de Trump. Trump rejette naturellement cette version, en soulignant que la principale menace pour les États-Unis est la Chine, et pas la Russie ».

Le professeur est convaincu que la carte anti-russe continuera d’être jouée quel que soit le résultat des élections aux États-Unis. Le courant dominant sur l’attaque des soi-disant « hackers russes » sera complété par des informations sur l’espionnage industriel et électronique, et « la présence de millions de spécialistes immigrés aux États-Unis crée de nombreuses opportunités pour cette campagne ».

« Dans le même temps, les motivations politiques demeurent pour toutes sortes d’exagération de la « menace russe » : si Trump gagne, il continuera d’être sans cesse accusé d’être dépendant de la Russie et de l’inefficacité de la protection du marché américain et des recherches. En cas de victoire de Biden, porte-étendard de la guerre froide, au pouvoir accéderont des personnes, poussées par une profonde inimitié envers la Russie et prêtes à jouer avec joie une « carte russe » tant dans la politique étrangère que dans la lutte interne pour le pouvoir », a résumé Andreï Korobkov.