Le 10 juin, dans le cadre du cycle de lectures littéraires en vidéo, Sergueï Chargounov, écrivain, critique, journaliste, présentateur de télévision russe, vice-président du Comité pour la culture à la Douma d’Etat de la Fédération de Russie et rédacteur en chef de la revue « Iounost » (« Jeunesse »), présentera les récits « Tu es ma trouvaille » et « Fils du pope » tirés du recueil autobiographique « Les miens ».

Sergueï Chargounov est né le 12 mai 1980 à Moscou, dans la famille d’un prêtre, professeur à l’Académie théologique Alexandre Chargounov.

Il est diplômé de l’Université d’État de Moscou Mikhaïl Lomonosov en journalisme international.

Entre 1998 et 1999, il travaille à la Commission de la Douma pour l’enquête sur les événements de l’automne 1993 (point culminant d’un conflit politique interne en Russie, aussi connu comme « La dispersion du Congrès des députés du peuple et du Conseil suprême de la Fédération de Russie » ou « Le coup d’État Eltsine » (du 21 septembre au 4 octobre 1993). (« La crise constitutionnelle russe »).

Dès ses 19 ans, il commence à publier sa prose et sa critique dans le magazine « Novy mir » (« Nouveau monde »). À l’âge de 21 ans, il devient lauréat du prix « Début » pour son récit « Le petit est puni » ; il verse sa prime au profit des avocats de l’écrivain et chef de l’opposition Edouard Limonov, détenu alors en prison.

En tant que journaliste, il travaillait en zone de guerre en Ossétie du Sud en 2008 et dans le Donbass entre 2014 et 2016.

Depuis 2012, il est rédacteur en chef du portail « Svobodnaya pressa » (« Presse libre »). Depuis 2018, il est auteur et animateur de l’émission télévisée hebdomadaire « Dvenadtsat » (« Douze »), depuis 2019, il anime l’émission télévisée littéraire « Otkrytaïa kniga » (« Livre ouvert »). Depuis 2019 il est également rédacteur en chef de la revue littéraire « Iounost » (« Jeunesse »).

Il est l’auteur de la biographie de Valentin Kataïev dans la série « JZL » (« Vie des gens distingués »), des romans « 1993 », « Le livre sans photographies » et « La grippe aviaire », de la nouvelle « Hourra ! ». Ses livres sont traduits en italien, anglais, français, serbe.

« Le livre sans photographies » a été publié en français en 2015 aux éditions de la Différence. La nouvelle « Hourra ! » a été traduite en français en 2017 par la maison Louison Editions et a été présentée au Salon International du Livre de Paris en 2018.

Il est lauréat du prix national « Bolchaïa kniga » (« Grand livre »), « Eurêka », du prix d’État de Moscou, des prix italiens « Arcobaleno » et « Moscou-Penne », du prix littéraire Gorki, du prix historique et littéraire Alexandre Nevski, du prix du gouvernement russe dans le domaine de la culture, du prix littéraire Nikolaï Leskov « Le vagabond ensorcelé », du prix « Zolotoï Vitiaz » (« Chevalier d’or »), il est deux fois finaliste du prix « Natsionalniy bestseller » (« Bestseller national »).

Depuis 2016, il est membre de la Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie de la VIIe convocation. Depuis août 2019, il est membre du Conseil présidentiel pour la langue russe.

Sergueï Chargounov est l’un des premiers représentants de la brillante tendance littéraire des « nouveaux réalistes » venus au début des années 2000, en réponse au postmodernisme. Dès le début, son travail est indissociable de sa vie publique et de son engagement civil.

En militant pour l’avenir de la langue, de l’éducation et de la culture russes, Sergueï Chargounov en tant que député, a défini parmi ses priorités la lutte contre la fermeture des écoles et des établissements médicaux, contre le retrait injustifié des enfants des familles, pour la préservation du patrimoine culturel et le soutien des compatriotes.

Ayant accompli des milliers de bonnes actions et sauvé des destins, il ne reste pas indifférent à toute demande des souffrants, qu’il s’agisse des médecins désespérés, ou d’anciens combattants de la Grande Guerre Patriotique, qui éprouvent un besoin d’aide, ou des défenseurs du Donbass injustement condamnés. Et dans ces missions et cette sensibilité, Sergueï Chargounov, d’une part, continue la tradition de la famille, et d’autre part, celle des grands classiques de la littérature russe.

Le recueil « Les miens » a paru en 2018. Il s’agit d’une prose très personnelle sur les proches, sur l’amour, sur la mémoire, sur la Russie profonde et sur les pays étrangers lointains. Les siens sont ses images, ses pensées, ses gens, des célèbres ancêtres de l’auteur à son jeune fils.

« La mémoire réconcilie avec l’idée de partir et en même temps renvoie au passé manquant, promettant de manière coquette l’immortalité », écrit l’auteur.

Spécialement pour le site du CRSC à Paris, Sergueï Chargounov présentera sa propre lecture vidéo de deux histoires du nouveau livre.

Le récit « Tu es ma trouvaille » parle de l’amour et est dédié à l’épouse de l’écrivain, Anastasia Tolstoï, arrière-arrière-arrière-petite-fille de Léon Tolstoï.

Le récit « Fils du pope » raconte son enfance au sein de l’église.

« Nous étions bien différents des autres. Même l’apparence des fils du pope était un défi. Les parents nous ont condamnés non seulement à des destins insolites, mais aussi à un style vestimentaire bizarre. (…) C’était à la fois notre bénédiction et notre malédiction. Il y a probablement une vérité ridicule et terrible dans le fait que nous attirons des démons tentateurs et des anges gardiens. Il doit y avoir en nous une théâtralité indélébile des mœurs et, peut-être, un jeu de la vie, et en même temps un véritable et surprenant sacrifice ardent et une soif de service … »

Bon visionnement !

Présentation du livre « Les miens » de Sergueï Chargounov par Monique Slodzian, slaviste et une des meilleures traductrice de la littérature russe, professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales.

Les miens, de Sergueï Chargounov, éditions AST, 2018. 345 pages.

Sergueï Chargounov a placé son dernier livre, Les miens, sous la rubrique « prose ». Ce n’est donc pas un roman, mais un récit de prose poétique, un genre où il est passé maître depuis Le livre sans photographies paru en traduction en 2015 (Editions de la différence). Ecriture virtuose aux sources du vieux slave et de « l’urban slang » de sa génération de trentenaires.

Il nous offre ici une galerie de portraits de proches sur trois, voire quatre générations, reconstitués à travers les méandres de sa mémoire, mêlant naturellement les impressions vécues et les souvenirs imaginaires, tissés et déformés par le temps. Il assume les fantasmagories de la mémoire familiale tout en respectant scrupuleusement le cadre historique. Cependant, loin d’être rectiligne, le récit suit une intrigue venue tout droit du conte merveilleux. Inspiré par Propp, Chargounov invente une cuillère magique qui disparaît et réapparaît au gré des péripéties de la grande Histoire et lie les tableaux entre eux. Hommage à la superbe prose russe des années vingt, ce montage narratif confère un grand charme au récit. Les boucles du temps donnent une succession de tableaux à la fois vifs, malicieux ou graves et toujours passionnants.

Cette fresque saisissante est née du réel le plus brutal. En 2017, à la suite d’une intervention à la Douma contre l’expulsion des habitants des immeubles « Khroutchev », son appartement moscovite a été incendié pendant la nuit. Ses parents ont pu de justesse échapper aux flammes mais la bibliothèque, les icônes précieuses et les portraits des aïeux ont été totalement ou en partie détruits. Il fallait donc prolonger la vie de ces personnages tutélaires menacés de disparition. La littérature a ainsi pris le relais de la peinture.

Quels personnages ! La lignée maternelle est peuplée d’écrivains et de cinéastes fameux. Le cadre de vie n’est autre que la célèbre maison des écrivains de la rue Lavrouchinski, dans le vieux Moscou. Sa grand-mère Valérie, elle-même écrivain, avait été l’épouse d’Alexandre Fadeïev, auteur de La jeune garde, l’un des fondateurs de l’Union des écrivains soviétiques en 1938 avant d’être celle du réalisateur Sergueï Guerassimov. Un petit portrait de Staline trônait sur sa table de nuit dont le tiroir cachait un tube de véronal au cas où on viendrait l’arrêter… Formidable raccourci sur la vie des années quarante.

La lignée paternelle n’est pas moins contrastée ni moins passionnante. Racines paysannes et destins militaires des aïeux. Alexandre Chargounov, le père de Sergueï est un homme de grande culture. Il deviendra prêtre après avoir fait une carrière d’interprète de haut rang. Patriote mais hostile aux institutions soviétiques avant 1991. Cependant, sa grande rigueur morale l’éloignera rapidement des champions de l’ultralibéralisme de l’après-URSS. Il fait aujourd’hui partie des écrivains moralistes qui comptent.

La dernière génération, celle de son fils Vania, 13 ans, est aussi présente. Elle donne à l’auteur l’occasion de s’interroger sur les effets des mutations socio-culturelles et technologiques qui transforment le pays.

Mais « les miens » ne se limitent pas à la généalogie familiale. Il y a les héros ordinaires, croisés pour de vrai lors de séjours au Donbass ou en Corée du Nord et les héros littéraires auxquels il n’en finit pas de dire sa dette. Il revient en particulier sur le rôle de Valentin Kataïev auquel il a consacré une superbe biographie en 2016 (qui attend sa traduction) et dont la mémoire vient en épilogue des Miens.

A travers le destin mouvementé de Kataïev, -officier Blanc passé chez les Rouges, devenu un écrivain soviétique majeur- Chargounov promeut une vision unifiée de l’Histoire de la Russie. En effet, Valentin Kataïev incarne l’ambivalence de nombreux écrivains de premier plan dont l’allégeance à la révolution n’allait pas de soi (à l’instar de Boulgakov, Ilf et Petrov, Olecha et de Gorki lui-même…).

Ces portraits intimes, ces tableaux recomposés et pleins de saveur du Moscou d’après-guerre donnent lieu à une réflexion passionnante sur l’histoire soviétique, plus précisément sur les pas de côté des intellectuels des années révolutionnaires, loin des vignettes en noir et blanc. Se dégage de l’entrecroisement de destins que tout oppose (révolutionnaires/contrerévolutionnaires, religieux/athées…) une image tonique, miraculeusement optimiste de l’avenir. Assurément, une clé pour déchiffrer la complexité de la Russie actuelle.

Monique Slodzian