2022 est l’année du 150ème anniversaire de la naissance de Vladimir Arseniev, l’officier russe qui a consacré sa vie à l’étude de l’Extrême-Orient russe, l’auteur des livres d’aventure « Dersou Ouzala » et « La Taïga de l’Oussouri », scientifique autodidacte.
« Vladimir Arseniev, entre la nature et la civilisation » est un projet en ligne de la Société russe de géographie qui décrit avec beaucoup de précision et d’une façon très pittoresque la vie et le travail de V.Arseniev. Il représente également son héritage scientifique et culturel. La MRSC à Paris propose à ses lecteurs de prendre connaissance de la sélection de la SRG et publie un article dédié à ce voyageur et écrivain brave, fort et courageux.
La Sibérie et l’Extrême-Orient, des territoires énormes pleins de la vraie nature sauvage, jusqu’à nos jours défient la toute-puissance technologique humaine. La Terre d’un climat sévère où paradoxalement l’homme se montre comme un vrai Homme en venant au secours d’un proche sans se faire prier car autrement il n’est pas possible d’y survivre attire même aujourd’hui des romantiques de la planète entière. Il y a cent ans ces terres étaient non moins attractives pour les caractères forts et passionnés quand Vladimir Arseniev, un jeune sous-officier de Saint-Pétersbourg, a su qu’il y avait en Russie des endroits où l’homme n’a jamais mis le pied.
Désigné à la Pologne, il a fait la demande de le transférer à l’Extrême-Orient en suivant sa passion pour les voyages et les expéditions.
D’où ce frétillon, expulsé de plusieurs établissements scolaires, a eu son aspiration à la recherche et à l’exploration ? Peut-être, de son père qui développait en ses enfants l’amour de la lecture à travers les livres alors populaires de Jules Verne et Mayne Reid, ou bien de son oncle qui organisait pour les enfants des expéditions sur des fleuves et dans des forêts, ou bien tout simplement il a été le produit de son époque du développement fugurant des sciences géographiques, ethnographiques et archéologiques en Russie — suite aux expéditions de Sémenoff-Tian-Chanski, Prjevalski, Névelskoï ou Miklukho-Maklaï.
En attendant son transfert de la Pologne à l’Extrême-Orient, suivant sa passion pour les recherches et vu l’absence des bases théoriques universitaires, Arseniev lit beaucoup, part en « excursions » dans les environs et apporte dans l’appartement où il vit avec sa jeune épouse des insectes, des serpents, des crapauds ou encore des oiseaux empaillés.
En 1900 enfin il arrive à Vladivostok et se voit attaché au régiment d’infanterie de la forteresse de la ville. En période entre 1900 et 1904 il effectue dans le cadre de l’équipe spéciale du régiment un nombre important d’expéditions de reconnaissance pour cartographier la région. Ainsi il a pu explorer pratiquement tout le sud-est de la région de Oussouri.
Son travail a été remarqué et apprécié. Après la guerre Russo-Japonaise perdue par la Russie, la question du développement et du renforcement des territoires est devenue encore plus cruciale. Entre 1906 et 1910 est la période des expéditions de Arseniev à Sikhoté-Aligne sur l’ordre du général-gouverneur de la région d’Amour P.Unterberger.
En 1906 Arseniev accompagné de 20 personnes est parti de Khabarovsk en suivant le courant des fleuves Oussouri et Foudzin vers les montagnes de Sikhoté-Aligne, les a traversées et a avancé vers la baie de Sainte-Olga. Il a ensuite longé le littoral de la Mer du Japon tout en se rendant de temps en temps à l’intérieur de la crête et est revenu au chemin de fer aux alentours du village Imane tout en se tenant près des grands fleuves de la région. C’est notamment durant ce voyage qu’il a rencontré Dersou Ouzala, un golde qui vivait dans la taïga et qui a consenti de devenir son guide.
Cette rencontre a beaucoup marqué Arseniev qui venait de s’intéresser à l’ethnographie et décidait à part la cartographie et les recherches de la nature de l’Extrême-Orient de s’occuper de l’étude du mode de vie, des conditions et des croyances des autochtones.
Dersou a appris beaucoup de choses à l’officier russe, cet adepte des approches scientifiques, représentant de la nation majoritaire de l’Empire russe, un homme pour qui la taïga sibérienne n’était qu’un objet d’étude et non pas son milieu naturel. Avec l’aide du golde, Arseniev a pu voir d’un autre œil la nature. Au lieu d’un milieu sévère et hostile qu’il faut surmonter et contre lequel il faut lutter continuellement, il a vu dans les relations des locaux un respect profond envers la nature et une perception d’elle comme d’un être humain possédant un caractère fort et une âme généreuse.
Le film « Dersou Ouzala » de Akira Kourosawa produit en coopération avec Mosfilm en 1975 à la base du livre éponyme de V.Arseniev transmet parfaitement les réflexions et les sentiments de l’explorateur russe après sa rencontre avec Dersou.
En 1908–1910 Arseniev a réalisé encore une expédition longue et très dure dans la partie nord de Sikhoté-Aligne après quoi il est parti à Saint-Pétersbourg pour voir sa famille. Dans la capitale il a fait plusieurs exposés y compris devant la Société russe impériale de géographie et la Société russe de l’histoire militaire, il a fait également le don de ses collections ethnographiques au Musée Russe.
A son retour à l’Extrême-Orient il a été transféré au service civile et s’est pris à la lutte contre les honghuzi (bandits chinois terrorisant les populations de l’Extrême-Orient à l’époque) et les braconniers. Pour cela il a effectué en 1911-1913 plusieurs expéditions secrètes dans la taïga des régions frontalières entre la Russie, la Chine et la Corée.
Au début de la Première guerre mondiale il a dû arrêter ses expéditions et s’occuper de mettre en ordre les objets et les informations accumulés. Arseniev est devenu le directeur du Musée N.Grodékov de Khabarovsk où avant 1917 il a accueilli entre autres le norvégien Fridtjof Nansen, le polonais Stanislav Poniatovski, le hongrois Balog Baratochi. Il faisait des rapports, donnait des conférences, écrivait des livres et en 1917 il a reçu le prix M.Venyukov de la part de la Société impériale russe de géographie.
Lors de la guerre civile et plus tard V.Arseniev a continué de vivre et travailler en Extrême-Orient où il était responsable d’un tas de tâches — il organisait des expéditions à Kamchatka et aux îles Komandorski, étudiait les traditions et le mode de vie des Evenks, luttait contre les braconniers locaux et étrangers, établissait les relations de confiance avec les peuples premiers de la région.
En observant la nature Arseniev écrivait beaucoup sur sa protection. Il a été à l’initiative de la création des réserves naturelles sur les îles Komandorski, à Kamchatka, à Primorié, écrivait beaucoup sur la situation en péril des peuples « de racines », montait le projet de mise en place du système d’élevage des animaux à fourrure pour éviter leur extinction dans la nature.
Durant plus de 20 ans il a enseigné l’ethnographie régionale, la géographie et l’environnement dans les établissements de Vladivostok et Khabarovsk, dirigeait le département ethnographique du musée de la Société de l’étude de la région d’Amour, organisait des excursions.
Maintenant les plantes, les navires, les écoles et les rues et même une montagne dans le Sikhoté-Aligne portent le nom d’Arseniev. De la hauteur de son piédestal Arseniev en pierre regarde la ville qui porte son nom.
Mais cela n’a pas été toujours comme ça. Après sa mort prématurée en 1930 à cause d’une défaillance cardiaque, la mémoire d’Arseniev a été ombragée par les attaques de ces concurrents et adversaires, par les traques politiques de sa famille — résultat de son passé d’officier royale qui était une preuve de la non loyauté politique pour les bolchéviks.
L’héritage littéraire d’Arseniev n’est pas moins important que les résultats de son activité scientifique et pratique pour le bien de la Russie. Ses livres écrits comme des romans d’aventure mais reflétant la réalité, élargissent les horizons et enrichissent l’âme. Arseniev était un vrai romantique de taïga, honnête et désintéressé, qui nous montre exemple d’un dévouement à la cause et d’une attitude attentionnée à l’environnement.
En 2021 une nouvelle traduction du livre de Arseniev « Dersou Ouzala » est sortie en France. La traduction de la version complète du livre faite avec brio par Yves Gothier a reçu le prix « Russophonie » en février 2022.